L’Europe coule parce 
	que chacun tente de refiler  
	                         
	les pertes aux autres !  
	 
	Cela fait deux ans que la première fumée a été repérée en Grèce, mais 
	l'incendie n'a toujours pas été éteint. Maintenant il s'est étendu à 
	l'Italie. Cela fait cinq ans que la bulle immobilière américaine a éclaté. 
	Le logement reste parmi les grandes raisons qui font que l'économie 
	américaine se porte si mal. Sur les deux continents, il n'y a plus aucun 
	doute sur la gravité de la menace ou sur le besoin urgent de recourir à de 
	meilleures politiques.  
	 
	Pourtant, les intéressés sont incapables d'agir. 
	 
	Pourquoi a-t-on attendu si longtemps ? Parce qu’il s’agit de décider qui va 
	payer l’addition. 
	 
	« Dans toute crise, il faut répartir les pertes entre débiteurs, 
	créanciers et contribuables», explique Anna Gelpern, un professeur de 
	droit américain et ancien fonctionnaire du Trésor. «C'est un concept 
	étonnamment simple, et totalement insoluble. » «Par définition, c'est un 
	problème politique, ajoute-elle. Même si vous êtes arrivé à une allocation 
	optimale, si elle n'est pas politiquement vendable, elle ne peut pas être 
	appliquée. » 
	 
	Cette fois, l'addition est de taille. Le Fonds monétaire international 
	estime que les détenteurs de la dette hypothécaire américaine ont perdu 2,7 
	trillions de dollars dont une bonne partie a été transférée aux 
	contribuables américains. Le patrimoine des ménages américains a fondu de 7 
	trillions de dollars en cinq ans, une baisse de 25%. 23% des Américains qui 
	ont contracté un prêt hypothécaire doivent plus d’argent que la valeur de 
	leur maison. 
	Toutes sortes de tentatives ont été faites pour réduire les paiements 
	hypothécaires mensuels pour certains, pour refinancer les prêts 
	hypothécaires à taux élevé pour d’autres, pour être sûr que les saisies sont 
	effectuées correctement, pour recapitaliser les banques afin qu'elles 
	puissent absorber les pertes, et ainsi de suite. Mais le grand saut n’a pas 
	encore été tenté : la réduction du principal sur les prêts hypothécaires. Le 
	grand obstacle à ce saut dans l’inconnu, c’est de savoir qui va payer 
	l’addition. Les banques, les investisseurs hypothécaires ou les 
	contribuables ?  
	En Europe, c’est le retard pris pour admettre que la Grèce a trop 
	emprunté sur les marchés. Ce problème difficile mais gérable au départ est 
	devenu une calamité au fil du temps. Une grande raison à ce retard est de 
	décider qui va payer l’addition. Les contribuables allemands, les 
	actionnaires des banques françaises ou les investisseurs d’obligations 
	grecques ? (1)  
	 
	Quand un emprunteur fait défaut - qu’il s’agisse d'une banque, d’une 
	entreprise ou d’un pays - la réaction initiale est de se dire que cela reste 
	un bon placement sur le long terme et qu’il s’agit vraisemblablement d’un 
	problème de liquidité à court terme. C'est souvent vrai. Ainsi le prêteur 
	donne un délai de grâce à l’emprunteur, la banque gèle le compte de son 
	client et le «prêteur en dernier ressort », la banque centrale, accorde un 
	prêt d'urgence à la banque car elle est certaine qu’elle sera remboursée un 
	jour. Le problème, dit-on, est la «liquidité» (ce qui signifie que personne 
	ne perd de l'argent à la fin) plutôt que la «solvabilité» de l’emprunteur 
	(ce qui signifie que quelqu'un va perdre de l'argent). (2) 
	 
	La tentation d'étendre cette logique au delà du raisonnable est forte. 
	Admettre que certains gouvernements européens ne rembourseront pas à 100 % 
	leur dette, ou que certains prêts hypothécaires ne valent pas autant que les 
	bilans des banques le disent, forcerait les prêteurs à enregistrer leurs 
	pertes. Si les pertes sont grandes, alors la solvabilité des banques est 
	mise en doute. En France, les marchés ne sont pas tellement sceptiques sur 
	la capacité du gouvernement à honorer les intérêts de sa dette mais ils le 
	sont à l’égard d’un renflouement des banques françaises qui détiennent 
	tellement de dettes publiques étrangères. (3) 
	 
	Les banques et les investisseurs prêtent souvent à des taux d'intérêt qui 
	reflètent le risque qu'ils ne seront pas payés en retour. Si tout va bien, 
	ils font beaucoup d'argent. Si non, les pertes sont pour les contribuables. 
	 
	« Les parties qui ont enregistré des pertes tentent de les transférer à 
	des contreparties, en particulier aux contribuables», dit Edward Kane, 
	un économiste du Boston College. « Ces crises ont tendance à perdurer 
	tant qu'il y a une chance de refiler les pertes aux contribuables. » 
	 
	Dans un premier temps, c’est le déni, puis le retard, et enfin la 
	manipulation. Fannie Mae, l’assureur américain de prêts hypothécaires qui a 
	été nationalisé, a déclaré cette semaine qu'il fallait que le gouvernement 
	américain lui prête une autre tranche de 7,8 milliards de dollars pour 
	couvrir les pertes sur les prêts qu'elle garantit. Elle va obtenir cet 
	argent sans l'aval du Congrès. C'est moins explosif que de demander au 
	Congrès de réduire la dette des ménages surendettés. En Europe, tout le 
	monde à l’exception du contribuable allemand est convaincu que c’est lui qui 
	va payer l’addition pour sauver l'euro. 
	 
	Il ya forcément des coûts à toutes ces tergiversations. Le crédit bancaire 
	en est un. « Les banques ne sont pas désireuses d'accorder un crédit, car 
	elles ne savent pas de combien de capital elles disposent [après la prise 
	des pertes non encore reconnues], et il est difficile pour elles de lever de 
	l'argent sur les marchés, parce que les investisseurs sont incertains de 
	leur situation financière», a déclaré John Makin de l'American 
	Enterprise Institute et qui travaille aussi pour le hedge fund Caxton 
	Associates. 
	 
	L'Italie est un autre problème. Sur les fondamentaux, l'Italie est un bon 
	placement tant qu'elle peut emprunter à des taux raisonnables. Contrairement 
	à la Grèce, elle dégage un excédent budgétaire, hors paiements d'intérêts. 
	(4) Mais elle ne peut pas survivre longtemps si elle doit continuer à payer 
	7% ou plus d’intérêts. Nul ne doute que l'Italie a péché, mais les retards 
	de l'Europe dans la gestion de « l'insolvabilité » de la Grèce ont conduit 
	les marchés à la question des dettes souveraines de la moitié de la zone 
	euro. 
	 
	Les contribuables vont payer. Combien ? Tant que cela ne sera pas déterminé, 
	la crise va perdurer et le coût augmenter. (5) 
	 
	David Wessel 
	 
	Notes du traducteur : 
	 
	(1) Depuis le début de la crise en Grèce, le gouvernement français essaie de 
	refiler les pertes de ses grandes banques au contribuable allemand en 
	demandant un renflouement de la Grèce qui n’a pas un problème de liquidité 
	comme les autres PIGS, mais qui est tout simplement insolvable. 
	(2) Tous les plans de sauvetage n’ont eu qu’une finalité : faire croire à 
	l’opinion publique que la Grèce remboursera un jour ses dettes. 
	(3) Les trois grandes banques françaises ont prêté 419 milliards aux PIGS. 
	(4) Le gouvernement français fait nettement moins bien que celui de l’Italie 
	qui dégage un excédent budgétaire brut avant la charge des intérêts de sa 
	dette. Le triple A de la France est injustifié et elle va le perdre bientôt. 
	Ce n’est pas en augmentant les taxes que l’on va rembourser notre dette mais 
	en baissant de 25% les dépenses de l’État en réduisant celui-ci à ses 
	fonctions régaliennes : armée, police, justice et diplomatie. Qu’on le 
	veuille ou non, tous les autres services publics seront privatisés sous la 
	pression des marchés et du F.M.I. 
	(5) Tant que les Européens refuseront l’aléa moral avec l’enregistrement des 
	pertes sur la Grèce, le coût de la crise augmentera pour tous les Européens. 
	Il fallait admettre en avril 2010 que ce pays était insolvable et le sortir 
	le plus vite possible de la zone euro. Les dirigeants européens ne l’ont pas 
	voulu et la crise de confiance s’est étendue en 2011 au cœur de l’Europe, 
	avec l’Italie dans le collimateur des marchés. A vouloir repêcher à tout 
	prix la belle Hélène, les dirigeants européens ont condamné la zone euro au 
	naufrage. Contrairement à la perception générale, ce n’est pas un effet 
	domino (contagion) qui est à craindre, mais un effet pop-corn (tout le monde 
	saute sous l’effet de la chaleur) lorsque la dette de certains États 
	européens est trop élevée pour être honorée. Le professeur de l’université 
	de Stanford, Edward Lazear, a donné un bon diagnostic de la crise américaine 
	qui est applicable à l’Europe (voir son article sur ce site).  |