Sarkozy ressuscite la lutte des classes ! 
	 
	La classe politique française est fâchée avec l'économie. Jusqu'à quelle 
	époque remonter ? Aux faillites de Louis XIV peut-être, contraint de faire 
	fondre l'argenterie de Versailles pour payer ses fonctionnaires. Chez nous, 
	l'économie n'est pas une science mais une catin (" Mes idées, ce sont mes 
	catins" dit Denis Diderot), contrainte à servir la politique. 
	L'idéologie socialiste n'est pas seule coupable comme en témoignent, en 
	cette Semaine Sainte, les initiatives des candidats à la Présidence. Mais la 
	palme revient, comme toujours, à Ségolène Royal : elle propose d'améliorer 
	le pouvoir d'achat en bloquant les prix. Pourquoi ne pas les diminuer, ce 
	serait plus social encore ? Un des rares principes - mais fondamentaux - sur 
	lesquels s'accordent économistes et historiens, est qu'un contrôle des prix 
	est au mieux inapplicable et au pire contreproductif.
	Il faut, de nos jours, voyager assez loin pour trouver une économie où 
	les prix sont contrôlés : en Egypte, par exemple, le prix du pain est fixé 
	par le gouvernement à un niveau assez bas pour que nul n'en manque. Les 
	éleveurs de poules, plus rationnels que le gouvernement égyptien, ont 
	calculé qu'il était plus rentable de nourrir la volaille avec du pain 
	qu'avec du grain au prix libre. Les poules égyptiennes mangent donc de la 
	brioche. Madame Royal ne nous dit pas comment elle gérerait les prix qui 
	baissent, comme ceux de l'électronique ! L'innovation fait baisser certains 
	prix, mais le contrôle des prix ne suscite pas l'innovation et surtout pas 
	la croissance : l'Union soviétique est morte, entre autres, d'avoir tenté - 
	scientifiquement - d'administrer tous les prix. 
	 
	Au tour de Nicolas Sarkozy qui, il y a quatre ans, avait vendu avec succès 
	aux Français un cours d'économie de marché et qui tente de rebondir sur le 
	terrain fertile de l'anti-économie. Son projet de prime aux salariés, 
	obligatoire, pour les entreprises qui accroissent les dividendes, laisse 
	perplexe. Le montant de cette prime, qui devait dans une version initiale 
	être fixée par l'Etat et uniforme, devra être négocié entre patronat et 
	syndicats. Or, dans la plupart des entreprises privées - réveillez-vous, là 
	haut - il n'y a plus de syndicats depuis des âges. Cette prime est 
	évidemment impraticable, elle remplacerait une augmentation des salaires, 
	elle inciterait à augmenter les frais généraux pour réduire les profits, 
	elle éloignerait les investisseurs de la France.  
	Par-delà ces effets pervers, de la même nature que le contrôle des prix, 
	le projet Sarkozy se fonde sur une vision archaïque de l'économie, en forme 
	de lutte des classes : l'Etat au chevet, avec les syndicats, du bon ouvrier 
	contre le maudit capitaliste. Il se trouve, dans notre société, que les deux 
	se confondent pour peu que le salarié bénéficie d'un intéressement et 
	possède par ailleurs quelques Sicav. Quand le salarié devient retraité, son 
	surmoi capitaliste s'accentue : les fonds de pension sont les premiers 
	capitalistes au monde. C'est parce que nous vivons longtemps que le marché 
	mondial des capitaux ne cesse de s'étendre : il gère nos retraites. 
	 
	Les candidats à la Présidence ne seraient-ils que démagogues ? Pas certain : 
	il faut faire la part de l'ignorance dans une élite politique qui n'est 
	généralement entourée d'aucun économiste, aucun chef d'entreprise. Les 
	fonctions de conseillers économiques auprès des ministres et de ceux qui 
	aspirent à le devenir sont tenues par des Inspecteurs des Finances, la 
	corporation qui gère le budget national avec le bonheur que l'on sait (Il y 
	a un livre à écrire sur les Inspecteurs des Finances qui ont ruiné la France 
	: polémique mais pas totalement). Une campagne qui démarre donc par un 
	cocktail de démagogie et d'ignorance. Et de renoncement : car contrôler et 
	redistribuer, c'est abandonner tout espoir de croissance. Sarkozy, qui fut 
	le candidat de l'innovation et de l'emploi il y a cinq ans, ne l'est plus : 
	soit ce n'est pas le même Sarkozy, soit il a été vaincu par la crise de 2008 
	(mais l'Allemagne et les Etats-Unis, entre autres, ont absorbé cette crise 
	et rebondi), soit il n'a pas compris que l'échec économique de la France 
	tient aussi à la non application des réformes qu'il avait promises. On 
	pense, par exemple, à la non réforme du code du travail qui, en interdisant 
	(de droit et de fait) de licencier, décourage de recruter. 
	 
	Tandis que la classe politique bégaie, la société française évolue à un 
	autre rythme : on observera deux changements majeurs intervenus au cours de 
	ces toutes dernières années. Le nombre des stages en entreprise a énormément 
	progressé, ce qui n'est pas un signe d'intégration de la jeunesse dans 
	l'économie réelle : les entreprises, que le droit du travail décourage, 
	remplacent les emplois par des stages et les stagiaires acceptent faute 
	d'emplois. Autre changement, spectaculaire : plusieurs millions de Français, 
	deux à trois sans doute, ont depuis dix ans quitté la France pour travailler 
	ailleurs. Jamais dans son histoire, la France n'avait connu pareille 
	émigration de masse (on n'a pas réussi à peupler le Canada !). On devine que 
	ceux qui partent ne sont pas les plus passifs : la France qui entreprend le 
	fait hors de la France géographique et au plus loin de la France politique.
	 
	Guy Sorman 
	 
	
	
	 
	 
	 
	
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