Par bonheur, le G20 ne 
	débouchera sur rien ! 
	 
	Le G20 n’est pas une solution économique ni un gouvernement mondial : sa 
	principale vertu est d’exister. Il est utile que les dirigeants des 
	économies dominantes se rencontrent et se concertent. Cette grand messe 
	annuelle, quoique coûteuse pour les contribuables du pays d’accueil, 
	autorise les gouvernements à saisir physiquement combien nous sommes tous 
	interdépendants. Le fait même de se réunir contraint à parler une seule 
	langue, celle du réalisme économique et à maîtriser le vocabulaire du 
	marché. Il n’y a plus de place, aux sommets du G20, pour les envolées 
	idéologiques et les utopies sociales : à Séoul, les dirigeants communistes 
	chinois et la présidente argentine s’abstiendront des slogans marxistes et 
	populistes réservés à leur politique intérieure. 
	 
	Le G20 fait donc progresser la science économique ainsi que les effets les 
	plus positifs de la mondialisation. Et la participation des pays dits 
	émergents rappellera aux plus riches que crise ou pas crise, trois ou quatre 
	milliards de nos frères humains végètent dans une misère indigne. 
	Brésiliens, Chinois et Indiens qui siègent au G20 pourront témoigner que la 
	mondialisation des échanges, jusqu’à plus ample informé, est la seule voie 
	connue pour atteindre un niveau de vie décent. Les Sud-Coréens, hôtes de ce 
	Sommet, naguère l’un des peuples les plus pauvres du globe, rappelleront 
	l’efficacité d’une bonne éducation de masse et d’une stratégie franchement 
	capitaliste. A Séoul, à condition de sortir de la salle de conférence, 
	chacun pourra mesurer par lui-même comment il est possible de brûler les 
	étapes de la croissance, de devenir modernes tout en restant ancrés dans une 
	forte culture nationale. 
	 
	Outre son existence même, le G20 possède-t-il d’autres vertus et que 
	devrait-on en attendre ?
	Depuis la crise de 2008, le G20 a réussi à se constituer en cellule de 
	crise ou plutôt de résistance à la crise. Grâce à la prise de conscience 
	collective des intérêts croisés, il lui revient d’avoir écarté le spectre de 
	la Grande Dépression sans qu’aucune résolution contraignante ne fût 
	réellement adoptée: le G20 n’est pas un gouvernement mais, par une dynamique 
	de groupe, ses membres ont résisté à la tentation de fermer les frontières 
	ou de se livrer à des dévaluations monétaires sauvages, ce qui, en 1930, 
	avait conduit au désastre collectif. Mais un bilan à nuancer : lors des G20 
	de 2008 et 2009, le gouvernement des Etats-Unis a persuadé les autres 
	membres que la « relance » par la dépense publique était indispensable.  
	 
	Après deux ans de cette Obanomics plus idéologique que scientifique, les 
	pays sages qui ont le moins relancé (Corée du Sud, Chine) – se contentant 
	d’inscrire dans leur budget des sommes qu’ils n’ont pas dépensées –ont le 
	mieux surmonté la récession. Les vrais dépensiers – Etats-Unis, Japon, 
	France, Espagne – se retrouvent les plus endettés et les plus ralentis. 
	Autant pour la gouvernance mondiale ! Si le G20 avait été un véritable 
	gouvernement, apte à imposer la doctrine dite keynésienne et que l’on 
	devrait appeler socialiste, le monde se porterait vraiment très mal. Le 
	Talmud dit qu’une décision unanime prise par dix Sages est forcément 
	mauvaise car on ne saurait trouver dix Sages ensemble : que dire de vingt, 
	livrés à eux-mêmes, sans aucun contre pouvoir ? 
	 
	Le G20 de Séoul sera différent, non plus confronté à une récession mondiale, 
	mais à la menace brandie par les pays stagnants de déclencher une «guerre 
	des monnaies ». Les gouvernements et groupes de pression industriels, aux 
	Etats-Unis et en Europe, prétendent que la valeur relative des monnaies 
	détermine les flux commerciaux. Le yuan bon marché serait à l’origine des 
	bénéfices réalisés par la Chine aux Etats-Unis ; l’euro cher causerait les 
	déboires français dans les ventes d’armes ou de technologies nucléaires. 
	Nicolas Sarkozy estime que le changement incessant de valeur des monnaies et 
	des matières premières serait à l’origine de la stagnation européenne. Au 
	G20 de Séoul, les Américains exigeront donc que les Chinois s’engagent à 
	réévaluer leur monnaie, ou à limiter volontairement leurs exportations vers 
	les Etats-Unis. Et Nicolas Sarkozy annoncera ses vastes ambitions pour des 
	fonds de stabilisation des monnaies et des matières premières. Les chefs 
	d’Etat acquiesceront par politesse et, par bonheur, rien de concret ne s’en 
	suivra. Une absence de décision qu’il faudra ne pas regretter parce que ces 
	morceaux de bravoure sur les monnaies et les matières premières confondent 
	les conséquences de la stagnation avec ses causes. 
	 
	Considérons les mouvements du dollar américain : la Banque centrale et le 
	gouvernement des Etats-Unis en sont seuls responsables. Le gigantisme des 
	dettes américaines conduit à une surabondance de dollars sur le marché 
	(récemment aggravée) qui le rend sensible à toutes les spéculations. Et les 
	effets d’annonce contradictoires de la Banque fédérale provoquent des 
	mouvements alternatifs de panique et d’engouement. Les Américains reprochent 
	aux Chinois de manipuler leur monnaie ? Mais ce sont les Américains qui 
	organisent une baisse du dollar plus spectaculaire que ne le serait une 
	hausse du yuan.  
	 
	Pourrait-on, comme le suggèrent Nicolas Sarkozy et les Chinois, se passer du 
	dollar ? Pour le remplacer par quelle autre monnaie, gérée par qui ? Aucun 
	Etat, ni l’Union européenne, ne renoncera à sa souveraineté monétaire pour 
	se laisser dicter un cours mondial par on ne sait trop quelle autorité ni 
	sur quels critères ? Et si les Chinois réévaluaient le yuan, doutons que le 
	recul de la Chine profiterait aux industries américaines et européennes. Ce 
	que la Chine produit, du bas de gamme en masse, les pays occidentaux ne le 
	font plus. Une usine qui fermerait en Chine serait d’ailleurs remplacée par 
	une autre, au Viêt-Nam ou en Inde.  
	Laissons donc les marchés arbitrer car, au bout du compte, la valeur des 
	monnaies reflétera la valeur réelle des économies et la qualité ou la 
	médiocrité des politiques économiques des nations. Il en va de même pour les 
	matières premières : la volatilité de leurs cours peut refléter des achats 
	spéculatifs. Mais dans le long terme, l’évolution à la hausse reflète la 
	concurrence normale des pays émergents. Cette hausse des cours de l’énergie 
	ou des matières premières est aussi une saine incitation à les utiliser 
	mieux et moins, en inventant des procédés plus ingénieux et moins 
	destructeurs de ressources rares. 
	 
	Le G20 sera avant tout une fenêtre sur le monde à venir : chacun désormais 
	ne survivra à la mondialisation qu’en cultivant son avantage compétitif. 
	Celui de la Chine est la bonne organisation de la production de masse. 
	L’avantage compétitif de la France, de l’Europe occidentale ou des 
	Etats-Unis ? L’innovation, l’enseignement supérieur, la création de produits 
	et services inédits. 
	 
	Le G20 va donc se jouer sur deux tableaux, le visible et le non-dit. Le 
	visible, le bruyant désignera des boucs émissaires : le dollar, les Chinois 
	! Attendons-nous à des proclamations lyriques et impraticables sur la 
	nécessité d’organiser des fonds de compensation et d’intervention de ceci et 
	de cela.Tandis qu’en coulisse, chacun prendra acte du changement du monde : 
	oui, le nombre des acteurs économiques a augmenté et oui, certains pays sont 
	mieux gérés que d’autres. Par contraste avec les G20 antérieurs, chacun s’en 
	retournera à un libéralisme classique dont la Grande-Bretagne donne 
	l’exemple le plus drastique : David Cameron risque de voler la vedette à 
	Nicolas Sarkozy et Barack Obama. Le non-dit de Séoul sera aussi, pour les 
	gouvernements occidentaux, une leçon d’humilité : accepter le fait qu’ils ne 
	sont plus seuls au monde et travailler mieux et plus pour garder l’avantage. 
	 
	Un consensus, tout de même, devrait émerger à la demande expresse de la 
	Corée du Sud: il n’est pas de tâche plus urgente que de faire reculer la 
	pauvreté de masse : c’est possible, de bonnes stratégies économiques le 
	permettent, à l’exemple même de ce que la Corée du Sud a jusqu’ici accompli.
	 
	Guy Sorman 
	 
	 
	
	  
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