Le capitalisme a digéré la crise ! 
	 
	Prévoir n’est pas le point fort de la science économique. Bien peu 
	d’économistes avaient anticipé la crise financière de 2008 : c’est donc avec 
	prudence que nous annoncerons ici une nouvelle année en croissance. La 
	difficulté de prévoir tient à la nature même du système capitaliste 
	mondialisé : tout événement local peut désormais provoquer un retentissement 
	global à la manière dont les phénomènes météorologiques se propagent. De 
	plus, étant fondé sur l’innovation, le capitalisme ne progresse jamais que 
	de perturbation en perturbation, puisque toute innovation est risquée et 
	qu’aucune innovation, y compris financière, n’est assurée du succès. Mais ce 
	système complexe, impossible à enfermer dans un modèle mathématique, malgré 
	ses pannes, s’avère de plus en plus résistant parce que mondial : un 
	accident ici est vite compensé par un progrès là-bas. Ainsi, quand les 
	Etats-Unis ralentissent, la Chine ou l’Inde accélèrent et l’équilibre 
	d’ensemble se rétablit.
	Le capitalisme mondialisé est en quelque sorte auto-stabilisateur. Ainsi, 
	les prophètes les plus disqualifiés par la récente récession se trouvent 
	être les prophètes de malheur du type Paul Krugman ou Joseph Stiglitz aux 
	Etats-Unis. Ces Jérémie, très répandus dans les médias, du haut de leur Prix 
	Nobel d’économie, nous avaient annoncé la crise finale du capitalisme : il 
	n’y a pas un an, la presse française et italienne surtout, s’interrogeaient 
	doctement sur “le retour de Karl Marx” et la validité de ses prédictions. 
	Les plus modérés ne juraient que par Keynes (une icône aussi illisible et 
	périmée que Marx), promettant, ou espérant que “plus rien ne serait comme 
	avant”. Des chefs d’Etat, évidemment à l’affût de nouveaux pouvoirs, 
	promettaient une économie mondiale dorénavant sous contrôle et suffisamment 
	réglementée pour que toute crise en soit bannie par décret. 
	 
	Eh bien, à l’aube de 2011, le nouveau capitalisme mondial ressemble 
	étrangement à l’ancien : l’innovation, le profit et l’échange restent, pour 
	notre temps, les seuls moteurs connus du développement. Seules les banques 
	sont désormais soumises à quelques nouvelles règles, assez modestes, propres 
	à renforcer la sécurité : ces banques sont surtout, spontanément, devenues 
	plus prudentes parce que tel est leur intérêt. Les riches continuent donc à 
	s’enrichir mais aussi, partout dans le monde, s’élèvent en masse, par 
	dizaines et centaines de millions d’hommes, de nouvelles classes moyennes. 
	Les véritables laissés pour compte sont les peuples incarcérés par leur 
	gouvernement dans des économies non capitalistes et non mondialisées. Voyez 
	Cuba ou la Syrie. 
	 
	Ce capitalisme global n’a-t-il pas été sauvé du désastre par les 
	interventions publiques ? De fait, rendons grâce aux gouvernements, en 
	particulier aux membres du G20 pour n’avoir pas fermé les frontières comme 
	en 1930, ni allumé une hyperinflation comme en 1975. “Ne pas nuire”, en 
	économie comme en médecine, est la première vertu. Sans doute devrait-on 
	pareillement se féliciter de l’action des banques centrales : au contraire 
	de 1930, elles ont abondé le marché en liquidités. Ce geste a empêché la 
	panique des épargnants mais sans relancer pour autant la croissance, car les 
	banques pas plus que les gouvernements ne savent ni ne peuvent y parvenir 
	par eux-mêmes. La “relance” ne procède jamais que des entrepreneurs, de 
	leurs initiatives et de leurs investissements : ne pas nuire à l’économie 
	exige de ne pas décourager ni faire fuire ailleurs les entrepreneurs. 
	 
	Le regain attendu et envisageable de la croissance dans les pays développés 
	en 2011, en particulier aux Etats-Unis et en Europe, ne devrait pas résorber 
	pour autant le chômage. La “croissance sans l’emploi” devient une norme 
	regrettable dans ces régions, essentiellement parce qu’une partie de la 
	population n’est pas qualifiée pour des emplois complexes, tandis que les 
	métiers manuels sont exportés là où les salaires sont bas. Il n’existe pas 
	de solution à court terme, sauf à baisser les salaires, ce qui est 
	socialement inconcevable. Alléger les contraintes propres au droit du 
	travail, tempérer les avantages sociaux accordés aux chômeurs, aurait 
	quelque effet positif, mais limité, et nul gouvernement n’est disposé à en 
	payer le prix politique. Il reste donc à élever le niveau et la 
	spécialisation de l’éducation, ce qui, à condition de commencer de suite, 
	exigera une génération avant de produire des effets mesurables.  
	On devrait aussi envisager sérieusement l’hypothèse de la 
	ré-industrialisation comme nouvelle source d’emplois en grand nombre de 
	qualification moyenne. On en perçoit des signes aux Etats-Unis, où General 
	Electric, par exemple, rapatrie certaines fabrications. De nouvelles 
	techniques (nanotechnologies) rendent la ré-industrialisation viable. Une 
	autre bonne raison militerait en faveur de la ré-industrialisation des pays 
	occidentaux : la copie des méthodes de production par les pays de 
	sous-traitance comme la Chine. Les entreprises occidentales sont toujours 
	plus concurrencées par des entreprises chinoises (indiennes demain ?) qui 
	proposent les mêmes produits que les Occidentaux dont ils ont décalqué les 
	procédés : ce que l’on appelle “reverse engineering” et dont la 
	ré-industrialisation dans les pays d’origine permettait, pour un temps, de 
	se protéger. 
	2011, an 1 de la ré-industrialisation ? 
	 
	Cette survie et adaptation du capitalisme n’est elle pas menacée par la 
	volatilité des taux de change et l’endettement des Etats ? En fait, il 
	convient d’inverser le raisonnement : si la croissance revient, les dettes 
	seront soldées. Si elles ne le sont pas, les monnaies seront dévaluées, pas 
	nécessairement par la volonté des gouvernements mais par les marchés 
	financiers, c'est-à-dire par les épargnants. C’est déjà le cas pour l’euro : 
	la baisse de l’euro, en favorisant les exportations européennes, résout le 
	problème posé par ce qui était la surévaluation de l’euro. On conclura, 
	comme pour le capitalisme, que les taux de change flottants sont le pire 
	système monétaire à l’exception de tous les autres. Au total, c’est le 
	travail qui fait la richesse des nations, pas les manipulations des 
	institutions économiques : et le capitalisme transforme assez convenablement 
	le travail en richesses. 
	 
	Guy Sorman 
	 
	
	 
	 
	
	 
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