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	 Crise des retraites : le cadavre de 
	Pétain bouge encore !   
	Le président Nicolas Sarkozy a eu raison d’évoquer les mânes d’un 
	François Mitterrand instaurant la retraite à 60 ans pour expliquer le 
	marasme dans lequel se trouve le système français de retraites. 
	 
	Mais pour que sa démonstration fût complète, il eût été avisé de remonter 
	plus haut dans le temps. 
	 
	Les défenseurs actuels du régime de retraite par répartition seraient, en 
	effet, bien étonnés si on leur en dévoilait l’origine 
	 
	La plupart du temps on le fait remonter à la Libération, époque supposée de 
	refondation du pacte républicain français, avec les fameuses ordonnances sur 
	la Sécurité sociale de 1945, en quelque sorte sacrées par la signature du 
	général de Gaulle. Or la répartition a été instaurée le 15 mars 1941 par un 
	homme qui a fini sa vie en prison pour indignité nationale après un procès 
	pour haute trahison : Philippe Pétain. En vérité, Sarkozy ne pouvait 
	remonter jusque-là sans remettre en cause un tabou national. 
	 
	Après la tragédie de la défaite, dans un pays ruiné et rançonné, saigné à 
	blanc par l’occupant nazi, le vieillard qui règne à Vichy allume 
	tranquillement la mèche d’une bombe à retardement qui commence à exploser 
	aujourd’hui. 
	 
	René Belin, l’ancien dirigeant de la CGT nommé par le maréchal Pétain 
	secrétaire d’Etat au Travail, met lui-même les points sur les i : 
	 
	« Les cotisations destinées à la couverture du risque « vieillesse », 
	explique-t-il, ne donneront plus lieu à un placement, mais seront 
	utilisées au fur et à mesure de leurs rentrées dans les caisses pour le 
	service des pensions. » 
	 
	La dernière loi sur les retraites datait de 1930. Le régime de 
	capitalisation, alors en vigueur, avait donné de bons résultats. Sur les 8,8 
	millions d’assurés, 7 millions faisaient des versements, et 5,5 millions 
	cotisaient régulièrement. La situation financière n’avait pas tardé à être 
	florissante. Au 31 décembre 1934, 11 milliards de F avaient été économisés 
	sur les 17 milliards perçus. Aussi décida-t-on de réduire le taux des 
	cotisations. 
	 
	Mais, même prospère, le système ne pouvait assurer immédiatement de manière 
	satisfaisante la retraite des gens âgés. C’est le propre de la 
	capitalisation à ses débuts. Dans les premiers temps, on accumule du capital 
	sans pouvoir verser de pensions. Ce n’est que lorsque le fonds arrive à 
	maturité que le montant des retraites payées peut égaler celui des 
	cotisations. Pétain a bloqué cette maturation. 
	 
	Les dispositions mêmes de la « loi de répartition » de mars 1941, 
	comme elle s’appelle et qui mérite bien son nom, permirent d’affecter au 
	paiement de l’Allocation aux Vieux Travailleurs Salariés les cotisations 
	recouvrées dans le cadre du précédent régime. 
	 
	On trouve dans les archives de cette époque un commentaire qui indique 
	clairement qu’il était « dans les intentions de certaines administrations de 
	consommer les capitaux eux-mêmes » qui avaient été accumulés et « qui 
	seraient peu à peu liquidés.» Compte tenu de l’extrême misère engendrée par 
	l’Occupation, il n’y avait peut-être pas d’autres moyens d’empêcher un 
	certain nombre de personnes âgées de mourir de faim. Pour la Résistance, ce 
	n’était pas une excuse valable. Le Commissariat aux Affaires sociales du 
	gouvernement provisoire d’Alger, dirigé par le Général de Gaulle, fustigera 
	la manœuvre de Pétain en ces termes: 
	 
	« Cette innovation qui a été présentée par Vichy comme une amélioration 
	importante n’a été en réalité qu’un expédient adopté pour permettre 
	d’utiliser les réserves de l’assurance sociale au financement des retraites 
	des vieux travailleurs instituées par l’acte dit loi du 14 mars 1941. » 
	 
	Les gaullistes de cette époque étaient de bons économistes. 
	 
	Après un tel pillage, le résultat final ne pouvait être autre que celui que 
	décrit dans ses Souvenirs Pierre Laroque (1), le « père » de la 
	Sécurité sociale : 
	 
	« Les caisses dépositaires de ces capitaux se trouvent, du fait de la 
	couverture de l’Allocation aux Vieux Travailleurs salariés, à peu près 
	exsangues en 1944, ne conservant que quelques immeubles de rapport ». 
	 
	Sans doute parce que ces derniers n’avaient pu être liquidés ! 
	 
	A la Libération, les nouvelles autorités ne furent pas tentées de puiser 
	dans la caisse, puisqu’elle était vide. Mais comme l’écrit Jacques Bichot 
	(2), [ingénieur qui cherche à se faire passer pour] spécialiste des 
	retraites, « elles prirent la suite de Vichy quant à l’utilisation 
	immédiate des cotisations pour payer les prestations ». 
	 
	Pour faire passer la pilule auprès des cotisants, on leur fit croire que 
	leurs cotisations leur ouvraient des droits à la retraite comme s’ils 
	étaient encore sous un régime de capitalisation. Il s’agissait là d’une 
	illusion lourde de conséquences et qui ne serait dévoilée que beaucoup plus 
	tard. 
	 
	Pour le comprendre, il faut rappeler succinctement les caractéristiques très 
	différentes des deux systèmes de retraite. 
	 
	En répartition, les cotisations versées à la caisse de retraite par les 
	actifs sont versées aux retraités au fur et à mesure qu’elles rentrent. Les 
	Anglo-Saxons appellent ce système unfunded pensions. Les pensions ne 
	sont pas « fondées » dans la mesure où n’est pas constitué un fonds 
	accumulant des capitaux dont le rendement servira à payer les futures 
	pensions. 
	 
	En capitalisation, les versements faits par les actifs servent à constituer 
	des réserves sur lesquelles seront plus tard prélevées les pensions. 
	 
	En répartition, les cotisations sont une sorte d’impôt versé par les actifs 
	au profit de leurs aînés, un remboursement de ce que chacun a reçu de ses 
	parents durant sa jeunesse. Ce n’est que par un artifice mensonger qu’on les 
	présente comme ouvrant un droit à la retraite des cotisants. Au contraire, 
	en capitalisation, les cotisations constituent une épargne qui permettra de 
	payer leur rente aux futurs retraités. 
	 
	Il est très facile de supprimer la capitalisation pour passer à la 
	répartition. On peut puiser dans les réserves précédemment constituées pour 
	compléter la retraite des vieux au cas où les cotisations seraient 
	insuffisantes. C’est ce qu’a fait le maréchal Pétain de 1941 à 1944. Par 
	contre, la réforme d’un régime de répartition pour faire place à plus de 
	capitalisation est beaucoup plus ardue, et c’est l’une des difficultés de la 
	situation d’aujourd’hui. Le versement des cotisations ne peut en effet être 
	arrêté, sauf à priver les retraités de leur subsistance. Autrement dit, les 
	actifs doivent continuer à cotiser jusqu’au décès du dernier bénéficiaire du 
	système, alors même que leurs cotisations apparaissent pour ce qu’elles sont 
	: elles n’ouvrent droit à aucune retraite, alors même que le régime de 
	capitalisation qu’on essaye de faire renaître ne peut générer à ses débuts 
	de pensions satisfaisantes. 
	 
	Chaque gouvernement refilant la « patate chaude » à son successeur depuis 69 
	ans, on est arrivé cette fois au bout du système, les « actifs » 
	d’aujourd'hui condamnés à payer deux fois : pour les retraités actuels et 
	pour leurs propres retraites. Cette double peine survient au moment même où 
	la crise financière conduit à une augmentation inéluctable des impôts. 
	 
	A la décharge de Vichy, on observera que le maréchal ne pouvait prévoir que 
	le jeune Mitterrand qu’il recevait à l’Hôtel du Parc alourdirait encore, 
	avec l’appui de la même CGT, la charge explosive de la bombe allumée en 
	1941. Si le cadavre de Pétain bouge encore, c’est en partie grâce au relais 
	du socialisme français…  
	Philippe Simonnot 
	 
	(1) Pierre Laroque, Souvenirs. 
	(2) Jacques Bichot, Les politiques sociales en France, Armand Colin. 
	 
	 
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