Le point de non retour a été 
	franchi cette semaine  
	                            
	pour la zone euro ! 
	La crise de la zone euro a été prise à la légère par les dirigeants 
	européens dans sa première phase avec l’insolvabilité non déclarée de la 
	Grèce. Pendant plus d’un an, ils ont dénié ce grave problème en prétendant 
	qu’il ne s’agissait que d’une crise de liquidité passagère pour Athènes. Une 
	saignée fut préconisée par les docteurs Knoch venus à son chevet avec une 
	hausse des impôts qui frappa avant tout un secteur privé déjà écrasé par la 
	charge d’un secteur public pléthorique. Arriva ce qui devait se produire. Le 
	plan dit de « redressement » s’est soldé par une forte contraction de 
	l’activité économique, sans que la Grèce puisse rembourser une partie de sa 
	dette publique qui s’envole. Celle-ci devait dépasser 185% de son P.I.B. 
	avant qu’un énième plan de sauvetage en annule la moitié.  
	 
	Puis la crise de l’euro a atteint le cœur de l’Europe. Contrairement à 
	l’opinion dominante, il ne s’agit pas d’une contagion ou d’un effet domino, 
	mais d’un effet « pop corn », tel que décrit par le professeur Edward Lazear. 
	Quand la température est trop chaude, les pop corn sautent de la casserole. 
	Dans le cas particulier qui nous intéresse, les États qui sont soit dégradés 
	par les agences de notation (Belgique, Hongrie, Espagne, etc.), soit 
	attaqués parce qu’ils ne peuvent plus refinancer leurs dettes sur le marché 
	obligataire (Italie), ou les deux à la fois, ne sont pas victimes d’un effet 
	domino. Ils ne sont pas non plus victimes d’une quelconque contagion 
	provoquée par la Grèce, mais ils sont tout simplement victimes de leur 
	propre dette jugée insoutenable par les marchés obligataires. 
	 
	Les économistes Carmen Reinhart et Kenneth Rogoff, qui ont mené une enquête 
	sérieuse sur huit siècles de folie financière à travers le monde, ont déduit 
	qu’au-delà d’un seuil de 90% du P.I.B., la dette d’un État devient 
	incontrôlable. Aussi n’est-il pas étonnant que l’Italie avec un ratio dette/P.I.B. 
	de 120% n’attire plus les investisseurs étrangers. Ces ratios atteignent 85% 
	pour la France et l’Allemagne. La prudence voudrait que les deux poids 
	lourds de l’Europe freinent leurs dépenses publiques pour ne pas dépasser ce 
	seuil fatidique, mais Paris n’a pas craint de charger davantage la barque en 
	garantissant la dette des cigales à travers le mécanisme compliqué du Fonds 
	européen de stabilité financière. C’est une grave erreur de sa part car les 
	marchés et les agences de notation commencent à se rendre compte que son 
	triple AAA ne se justifie plus. Voilà pour les causes.  
	 
	Si un diagnostic est mal établi, on ne peut pas trouver de solution à la 
	crise. Les États-providence d’un grand nombre de pays européens doivent être 
	réduits drastiquement pour pouvoir honorer leurs dettes. Mais les dirigeants 
	européens ne veulent pas l’admettre et font croire à l’opinion publique que 
	c’est la faute des marchés obligataires, des agences de notation, de Wall 
	Street, de la Chine avec son dumping social, etc. Prendre des 
	bouc-émissaires ne change rien à la donne, sauf à gagner du temps pour se 
	faire réélire. Mais le calendrier électoral ne s’accorde pas avec celui des 
	marchés. C’est ce que n’ont pas compris certains dirigeants européens qui 
	ont multiplié les sommets pour se rassurer eux-mêmes alors que leur pouvoir 
	vacille. Des gouvernements de technocrates remplacent ceux incapables 
	d’enrayer la spirale de l’endettement. Telle est la sanction de nos jours à 
	Athènes et à Rome. 
	 
	Venons-en aux conséquences de ce déni des réalités. Le marché n’est pas une 
	entité qui répondrait d’une seule voix aux ordres dictés par Bruxelles. 
	C’est une communauté de millions d’investisseurs qui ont chacun un horizon 
	et un objectif différents les uns des autres. A ne pas vouloir apporter une 
	réponse à la crise de la dette par une annonce d’un plan crédible de 
	réduction des dépenses publiques, les dirigeants européens ont fini par 
	inquiéter le marché. Tout le monde sait que la peur est plus contagieuse que 
	la cupidité. C’est ce qui s’est produit cette semaine quand les 
	investisseurs n’ont plus voulu racheter la dette de pays trop endettés. 
	Comme dans tout marché, quand l’offre de bons du trésor est largement 
	supérieure à la demande, les taux d’intérêt grimpent. Mais à cette loi bien 
	connue des marchés s’est ajoutée, au cours de cette semaine, la prévision 
	que la zone euro allait éclater en raison du profond désaccord subsistant 
	entre Paris et Berlin au sujet du rôle de la B.C.E. 
	 
	Au départ de la construction de l’euro, il y avait un profond désaccord 
	entre les deux capitales. Paris voulait arrimer l’ex-Bonn à l’Europe car 
	elle craignait la renaissance d’une Mitteleuropa forte dont elle serait 
	écartée à la suite de l’annexion de la R.D.A par la R.F.A. consécutive à 
	l’effondrement du mur de Berlin. De son côté, Bonn accepta l’union monétaire 
	désirée par Paris à la condition impérative que la B.C.E. demeurât 
	indépendante. Les Allemands n’ont pas oublié l’hyperinflation des années 
	vingt provoquée par l’intransigeance de Clémenceau au traité de Versailles 
	de 1919, avec sa phrase célèbre : « L’Allemagne paiera ! ». 
	 
	Pendant une décennie, les cigales méditerranéennes ont eu le beurre (une 
	monnaie forte avec l’euro) et l’argent du beurre (un déficit budgétaire pour 
	financer un Etat-providence trop généreux). Puis est arrivée d’Amérique la 
	crise des subprimes, en septembre 2008, qui s’est répandue sur le 
	vieux continent comme une traînée de poudre. Les indécrottables keynésiens 
	ont alors prôné une relance par un accroissement du déficit budgétaire en 
	vertu de la boîte noire du multiplicateur. Pour chaque euro dépensé, il y 
	aurait 1,5 euro de croissance supplémentaire. De son côté, Berlin refusa, 
	malgré les pressions de Washington et de Paris, à la sirène de la boîte 
	noire.  
	L’histoire a prouvé qu’en dehors de Jésus de Nazareth, il n’y avait 
	personne qui fût capable de multiplier les pains et les poissons. S’il en 
	fallait encore la preuve, le plan « vert » d’Obama en faveur du secteur de 
	l’énergie renouvelable s’est soldé par un retentissant échec (voir 
	l’éditorial du Wall Street Journal que j’ai traduit hier). Mais allez faire 
	comprendre cela à la secte verte ou aux indécrottables keynésiens comme le 
	prix Nobel d’économie Paul Krugman. Ils vous répondront invariablement que 
	le plan n’était pas assez ambitieux pour produire l’effet multiplicateur. Il 
	faudrait dépenser non pas des milliards mais des trillions de dollars pour 
	atteindre la masse critique d’entraînement.  
	 
	Puisqu’il est question de « masse critique », cela servira de transition 
	pour arriver au point essentiel de cet article. En effet, une « masse 
	critique » vient d’être atteinte en Europe avec la fuite hors de la zone 
	euro des investisseurs qui se délestent de leurs obligations européennes et 
	qui n’est plus compensée par la zone euro elle-même. Les banques étrangères 
	envisagent sérieusement à présent l’éclatement de la zone euro. Ce n’est pas 
	le méchant républicain Wall Street Journal qui l’écrit mais le gentil 
	démocrate New York Times si proche du cœur des Européens, et qui 
	vient de l’annoncer à ses lecteurs en ce dimanche qui suit « l’overdose » 
	des consommateurs qui se sont rué vendredi à minuit aux portes du grand 
	magasin Macy’s qui ouvre la saison des fêtes de Noël en Amérique. (1)  
	 
	Comme l’a reconnu l’eurocrate Mario Monti, si l’Italie plonge, l’euro aussi. 
	C’est ce qui va se produire bientôt quand son pays, qui est le troisième 
	emprunteur de la planète après les États-Unis et le Japon, ne pourra plus se 
	refinancer sur le marché obligataire. Sa dette de 1900 milliards d’euros est 
	très supérieure au F.D.S.E, dont là encore nos indécrottables keynésiens 
	nous ont raconté qu’avec 1000 milliards d’euros, il aurait un effet 
	multiplicateur non pas de 1,5 mais de 2. Pourquoi n’ont-ils pas annoncé un 
	multiplicateur de 5 pour rassurer les marchés crédules ? Je ne comprends pas 
	leur timidité. La fameuse boîte noire sera-t-elle suffisante pour calmer les 
	requins qui flairent un grand carnage, non plus en mer Égée qui n’était que 
	du menu fretin, mais en mer du Nord où sont concentrés les bancs de harengs 
	? Un adage de Wall Street dit que les bons comme les mauvais soldats sont 
	emportés dans la tempête. La preuve nous a été apportée cette semaine avec 
	l’envolée des taux d’intérêt des bons du trésor de la Finlande ou les 
	Pays-Bas qui sont des pays vraiment sérieux en matière budgétaire. 
	 
	Paris, qui a longtemps misé sur la capitulation de Berlin en ce qui concerne 
	le statut de la B.C.E., vient de réaliser qu’elle ne cédera jamais. Pris de 
	panique, les énarques concoctent un plan B avec l’élaboration d’un nouveau 
	traité prévoyant une Europe fédérale budgétaire. Comme disait Dominique 
	Strauss-Kahn à son retour en France, « Le problème des Européens, c'est 
	qu'ils font souvent soit trop peu, soit trop tard, soit souvent trop peu et 
	trop tard. » Pour ma part, je considère que le point de non retour de la 
	zone euro a été atteint cette semaine avec l’envolée des taux sur la dette 
	italienne. En sus du plan B, qui ne calmera pas les marchés, les énarques 
	devraient songer au plan C en dépoussiérant et en testant notre vieille 
	planche à billet qui devra bientôt resservir. 
	 
	« L’histoire n’est qu’un éternel recommencement », disait Johann 
	Wolfang von Goethe qui était né le 28 août 1749 à Frankfurt am Main. Par une 
	cruelle ironie de l’histoire, la ville, qui est appelée 
	Francfort-sur-le-Main en français, est le siège de la B.C.E. Il ne pouvait 
	en aller autrement dès lors qu’on répétait la même erreur du passé en disant 
	que l’Allemagne devrait toujours payer pour nous, avec cette fois le 
	sauvetage des grenouilles banquières qui voulaient se faire bœufs.  
	Reconnaissons que nos énarques ont de grandes idées mais qu’elles ne sont 
	pas toujours applicables et comprises par nos partenaires. C’est la leçon 
	d’humilité que nous devons tirer alors que des générations de Français vont 
	devoir payer l’addition de leur folie des grandeurs.  
	Bernard Martoïa  
	(1) “Banks build contingency for breakup of the Euro”.  
	 
	
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