La lutte pour la liberté de vivre et d’échanger est
	                 
	plus que jamais d’actualité 
	 
	Je critique l'idéologie qui domine aujourd’hui l’Europe et que j'appelle l’ 
	« européisme ». 
	Je crains bien que ce « conglomérat d'idées » hétérogène et bricolé, jamais 
	présenté, élaboré, analysé ni défendu avec cohérence, n’ait pris, au cours 
	des dernières années, une puissance énorme et qu'il n’influence notre 
	pensée, nos politiques et notre mode de vie plus encore que nous n’en avons 
	conscience. 
	 
	Tels que je les envisage, les aspects principaux de l’européisme peuvent se 
	résumer de la 
	manière suivante:  
	 
	- La croyance en l’ économie sociale de marché, et la diabolisation du 
	libéralisme ;  
	- La confiance affichée envers la société civile, les ONG, le dialogue 
	social, le corporatisme, aux dépens de la démocratie parlementaire classique 
	;  
	- Les entreprises de constructivisme social inspirés par la méfiance envers 
	l'évolution spontanée de la société humaine ;  
	- L’indifférence envers les État-nations et une croyance aveugle en 
	l'internationalisme;  
	- La promotion du modèle supra-nationaliste d’intégration européenne, au 
	détriment de son modèle intergouvernemental.
	Non au politiquement correct 
	 
	Quiconque a suivi le discours français en politique, philosophie, 
	économie ou sociologie sait que ma position (c’est-à-dire mon désaccord 
	profond avec la doctrine susdite) va directement à l’encontre des opinions 
	politiquement correctes en France et, ce qui est probablement plus grave 
	encore, des conceptions de l’intelligentsia française enracinées depuis des 
	siècles. 
	 
	Quelle que soit mon affection pour la France, pour moi ce pays est davantage 
	celui de Colbert que celui de Bastiat, de Fourier et Saint-Simon plutôt que 
	de Jean-Baptiste Say et de Turgot, et de Sartre plutôt que de Raymond Aron. 
	 
	Ce n’est donc pas une surprise si on ne m’invite pas régulièrement à venir 
	prendre la parole ici. Malgré toutes les autres 
	questions d'actualité, la question de l'Europe et de son avenir me hante 
	depuis la chute du communisme.  
	 
	Cela ne devrait pas surprendre : l’affaiblissement constant de la démocratie 
	et de la liberté d’échanger sur le continent européen, lié au processus 
	d'unification européenne, est un phénomène inquiétant, surtout pour qui a 
	passé la plus grande partie de sa vie sous l’autoritarisme et l’oppression 
	extrêmes d’un régime communiste. Je considère, par conséquent, la marche 
	vers une union toujours plus étroite (qui est l'un des principes essentiels 
	de l’européisme) comme un projet mal inspiré.  
	 
	Cette ambition était la pierre angulaire de la Constitution européenne et 
	demeure sans changement de fond dans sa nouvelle version, le traité de 
	Lisbonne. 
	Le passage progressif de la libéralisation et de la suppression de toutes 
	sortes d'entraves à l’imposition massive par en haut de la réglementation et 
	de l’uniformisation, un système redistributif toujours plus étendu et 
	dépensier, les formes imaginatives, toujours plus compliquées, du 
	protectionnisme, l’augmentation continue des fardeaux législatifs et 
	réglementaires qui pèsent sur les entreprises, les pseudo-politiques de 
	concurrence qui sabotent les marchés, les institutions de la monnaie unique, 
	tout cela n’est que trop réel. 
	Cela affaiblit et entrave la liberté, la démocratie et la responsabilité 
	politique, pour ne pas parler de l’efficacité économique, de l'esprit 
	d'entreprise et de la compétitivité.  
	Le droit de dire non 
	 
	Le slogan de la présidence tchèque de l'UE, « L'Europe sans barrières », 
	tente de remettre à l'ordre du jour les ambitions initiales de l'intégration 
	européenne : la libéralisation, l'ouverture, la suppression des entraves et 
	du protectionnisme. 
	 
	Et à juste titre, parce que c’est plus que nécessaire. Si je ne cesse d’en 
	parler c’est parce que je me soucie vraiment de l'Europe. Pour moi et pour 
	mon pays, il n’y a jamais eu d’autre solution que l'adhésion à l'UE, mais 
	dire cela n'implique pas que nous soyons disposés à avaler le dogme selon 
	lequel la forme et les méthodes des institutions de l'UE seraient les seules 
	possibles. N’en tenir qu’une seule pour sacro-sainte, comme la seule 
	autorisée et politiquement correcte, est inacceptable. 
	 
	Le droit du peuple de choisir entre dire "oui" ou "non" à la Constitution 
	européenne et autres traité de Lisbonne, ou à tout autre document, devrait 
	être tenu pour sacré. 
	C’est ce droit-là qui constitue la véritable substance (et le sens) de 
	l'Europe. 
	Les attaques contre ceux qui osent dire « non » aux tentatives faites pour 
	accélérer l'approfondissement de l'Union européenne, lesquelles constituent 
	l'essence et le but du traité de Lisbonne, sont autant d’attaques contre la 
	nature véritable de l'Europe.  
	L’hystérie écologique 
	 
	Cela étant dit, permettez-moi d'aborder deux autres questions je 
	considère importantes. 
	Je vois un autre problème énorme dans l’écologisme et dans sa forme actuelle 
	la plus agressive – l’hystérie autour du réchauffement de la planète. Cette 
	idéologie est progressivement devenue l’un des chevaux de Troie les plus 
	efficaces pour pousser à une intervention de l’Etat toujours accrue dans 
	tous les domaines de la vie, de même que pour étouffer la liberté humaine et 
	la prospérité économique. 
	 
	Je suis frustré de voir que cette idéologie-là n'ait pas assez été mise en 
	cause tant par les climatologues que par d’autres. On entend tout le temps 
	une propagande unilatérale, et pas les arguments sérieux qui s’y opposent.
	 
	 
	Il est tout aussi évident que ce débat-là doit aller au-delà de la seule 
	climatologie. 
	Nous ne devons pas accepter la division des êtres humains entre les 
	climatologues et nous autres, ignorants et plutôt naïfs. Le débat sur le 
	réchauffement de la planète est une question complexe et la climatologie 
	n’en représente seulement qu’une partie. 
	Et dans ce débat, il y a un rôle particulier pour la profession des 
	économistes, parce que nous, nous avons mis sur pied une branche de notre 
	science qu’on appelle la « théorie économique du réchauffement ». 
	 
	Les économistes doivent se faire entendre, prouver que les ressources ne 
	sont pas épuisables, y compris l’énergie, à condition qu'on les utilise 
	rationnellement, ce qui veut dire avec des prix non faussés et des droits de 
	propriété correctement définis. 
	Ils doivent publier des études complètes sur les coûts et les avantages des 
	mesures et politiques "vertes" qu’on veut nous imposer aujourd’hui. 
	 
	Ils doivent rendre accessibles, même aux non spécialistes, nos arguments sur 
	la relation complexe entre les divers horizons de prévision (que la théorie 
	économique traite sous le nom d'actualisation). 
	 
	Ils doivent ramener au raisonnement économique élémentaire sur l’évitement 
	rationnel du risque (ce qui contribuerait à discréditer le principe de 
	précaution, principe indéfini d’aveuglement volontaire, dont se servent les 
	écologistes), et remettre en avant le rôle positif des marchés, des prix et 
	des droits de propriété et sur les conséquences tragiques de la nuisance 
	étatique qui naîtra inévitablement de prétentions telles que contrôler le 
	climat de la planète.  
	Le marché n’a pas à porter le chapeau des erreurs politiques 
	 
	La troisième question que je souhaiterais mentionner ici aujourd'hui, 
	est l'actuelle crise financière et économique. 
	 
	Je viens à peine de passer trois jours entiers sur ce sujet lors du Forum 
	économique mondial à Davos, et mon impression est qu’on empêche de 
	s’exprimer la rationalité et la science économique, ou qu’on les a perdues 
	de vue. 
	 
	Cette crise économique très déplaisante, qui s’approfondit de jour en jour, 
	il faudrait reconnaître qu’elle est un phénomène économique banal, en tant 
	que conséquence inévitable d’une longue manipulation du marché par les 
	hommes politiques et donc comme un "juste" prix à payer. Les tentatives de 
	ceux-ci pour faire porter le chapeau au marché, au lieu de le porter 
	eux-mêmes, sont inacceptables et on doit les rejeter résolument. 
	 
	Leurs activités visant à "réformer" le système économique, sont toutes 
	extrêmement contestables et, comme je l’ai dit à Davos, ces réformes 
	commencent à me faire plus peur que la crise elle-même. 
	 
	Pour trouver les moyens d’en sortir, il faut - pour utiliser une analogie - 
	distinguer strictement la lutte contre l'incendie de la mise au point d’une 
	législation préventive contre l'incendie. Ce qu’il faut aujourd’hui, c’est 
	se concentrer sur la première tâche, la seconde peut s’exécuter 
	progressivement, sans précipitation ni panique. Accroître massivement le 
	champ de la réglementation financière, comme on se propose de le faire 
	aujourd’hui, ne fera que prolonger la récession. 
	 
	La demande globale a besoin d’être soutenue. Une manière traditionnelle de 
	le faire est d’accroître les dépenses publiques, principalement sur des 
	projets d'infrastructure, à la condition qu’il y en ait de disponibles. Il 
	serait pourtant beaucoup plus efficace d’entreprendre une réduction radicale 
	de toutes sortes d’entraves aux initiatives privées imposées depuis un 
	demi-siècle, pendant l’ère du « Meilleur des mondes », de l’« économie 
	sociale et écologique de marché ». 
	 
	La meilleure chose à faire tout de suite serait d’atténuer temporairement, 
	voire définitivement, différentes "normes" sociales, de travail, 
	d’environnement, de santé et autres, car c’est elles, plus que toute autre 
	chose, qui bloquent l'activité des hommes. Lorsqu’il y a 20 ans le 
	communisme tombait, je n’aurais jamais pensé subir un degré d'ingérence dans 
	ma propre existence tel que je le subis aujourd’hui.  
	 
	C’est pourquoi je suis persuadé que la lutte pour la liberté de vivre et 
	d’échanger demeure totalement d’actualité.  
	 
	Certains d'entre nous peuvent être trop sensibles à cet égard, mais je suis 
	sûr qu'il ne s’agit pas - en principe - d’un excès de sensibilité de notre 
	part. Ce dont il s’agit, ce sont les dangers réels que nous voyons autour de 
	nous. C’est de certains d’entre eux que j'ai tenté de parler. 
	 
	Vaclav Klaus 
	 
	 
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