| A la suite de la publication, le 19 août 2005, de mon interview par Valeurs
    Actuelles, j'ai reçu d'un lecteur de cet hebdomadaire, M. Rémy Paillard, un article
    qu'il avait publié en 1987 dans un journal professionnel. Son analyse est si pertinente
    qu'il m'a paru souhaitable de la porter à la connaissance de nos lecteurs. On constatera
    que ce qui était vrai en 1987 - et même en 1972, puisque, comme on pourra le lire
    ci-après, M. Paillard développait déjà ses idées à cette date - le reste encore
    aujourd'hui. A ceci près qu'il ne s'agit plus de simples idées, puisque, après un
    combat de 14 ans, nous avons réussi à les inscrire dans les lois de la République.  Claude
    Reichman  
    Le mot de paternalisme est honni mais tout le monde en vit. Les syndicats ouvriers en
    particulier (mais pas seulement eux) en demandent et en redemandent chaque jour.  
    Vous croyez peut être que le premier rôle du chef d'entreprise est un rôle économique
    ? Vous vous trompez : ce brave homme doit d'abord soigner les rhumes de ses salariés,
    distribuer des jours fériés pour la communion du gamin, construire des logements
    sociaux. financer des comités d'entreprise qui font du commerce sans payer de patente,
    etc. Bref être un bon père de famille, voire un bon père Noël ! 
    Le paternalisme est partout, et la Sécurité sociale en est la plus parfaite
    illustration. On commence pourtant à comprendre que cela coûte cher, décourage les
    employeurs, crée du chômage et casse l'économie nationale au même titre que la
    diarrhée fiscale qui accable le pays. 
    Nos grands "penseurs" ont donc décidé de réunir des États généraux. Ce mot
    là, lui, est "dans le vent". Il a un petit air solennel et révolutionnaire. Il
    a tout pour plaire ! En réalité, il ne s'agit que de pantomimes pour amuser la galerie.  
    On rassemble des politiciens qui ne songent qu'à "refiler le bébé" (et ses
    petits frères) à ceux "d'après les élections", des syndicats patronaux qui
    savent que l'on va encore pomper les entreprises, des syndicats ouvriers qui profiteront
    de cette tribune pour imaginer de nouvelles revendications, et des fonctionnaires qui
    "tueront le temps" dans leurs fauteuils habituels. On palabre, on écrit des
    rapports. Cela fait des frais dont, une fois de plus, les "cons d'attribuables"
    se verront attribuer la note : seul résultat tangible.  
    Une mentalité arriérée  
     
    Ouvrons les yeux : que sont ces fameuses charges sociales que notre société a inventées
    ? Ce sont des cotisations à des assurances, tout à fait semblables à celles que chacun
    souscrit en matière d'incendie ou d'accidents d'automobile. Pourquoi faut-il soudain que
    l'Etat oblige l'entreprise à se substituer aux citoyens pour payer des assurances, dès
    lors qu'il s'agit de santé, de chômage ou de retraite ?  
    En réalité, notre société, qui se prétend moderne et progressiste, perpétue une
    vieille tradition de paternalisme qui remonte au Moyen Age, où le Seigneur se devait de
    protéger ses serfs. 
    La bourgeoisie industrielle du XIXe siècle, tout imprégnée de cette bonne vieille
    charité chrétienne, a consacré la tradition. Je pense que les Albert de Mun, les Léon
    Harmel et autres étaient généreux mais qu'ils eussent été mieux inspirés en payant
    convenablement les services de leurs ouvriers, en les faisant travailler dans des
    conditions plus humaines et en leur permettant de devenir des hommes responsables. 
    Aujourd'hui encore, le salarié est toujours considéré comme un assisté, comme un
    mendiant comme un "pauvre" à qui l'on fait des cadeaux, voire comme un
    "pauvre d'esprit" incapable de se prendre en charge. Il faut en finir avec cette
    mentalité. Pour moi un salarié est un prestataire de services comme mon médecin, mon
    épicier, mon notaire ou mon maçon. Son rôle est de me vendre les meilleurs services et
    de m'en demander le meilleur prix possible.  
    L'étatisme en prime  
    Si les conséquences de cette mentalité sont détestables sur le plan psychologique et
    social elles sont désastreuses sur le plan pratique. L'Etat se trouve, dans les faits, le
    maître des opérations avec tout ce que cela représente.  
    - Il crée ou cautionne des organismes atteints de gigantisme où l'usager n'est qu'un
    numéro, où règne une paperasserie démentielle, où prolifèrent des bureaux
    pléthoriques dans des palais princiers, où la complexité des régimes et des
    procédures est un défi au bon sens (retraites, indemnités journalières, régimes
    complémentaires, etc.), où les conseils d'administration ne sont que des chambres
    d'enregistrement fantoches. 
    - Il agit en situation de monopole, sans être sanctionné par la loi naturelle et
    bénéfique de la concurrence.  
    - Il favorise l'irresponsabilité des technocrates puisque chacun sait que la machine est
    incontrôlable et qu'en fin de compte tout déficit sera comblé par la fiscalité ou la
    parafiscalité. 
    - Il ne respecte pas la logique simple qui voudrait qu'à chaque risque corresponde une
    prime adéquate et non pas une cotisation variable selon le revenu de l'assuré (ce qui
    est en réalité un nouvel impôt). 
    - Il ne peut éviter l'ingérence de la politique, avec toutes les manoeuvres
    démagogiques que cela suppose.  
    Ce qu'il faut faire  
    Liberté, responsabilité, efficacité, voilà les chemins qu'il faut prendre. Il
    suffirait d'une loi de quelques lignes : 
    1) Tout citoyen français doit être assuré contre un certain nombre de risques : santé,
    chômage, retraite, incendie, accidents d'automobile, etc. 
    2) Chacun est libre de choisir le montant de ses garanties (les régimes complémentaires
    deviennent inutiles), mais des taux minima sont obligatoires. Par exemple, santé : 80 %,
    chômage : un an de SMIC, retraite : le SMIC, etc. 
    3) Chacun est libre de choisir son assureur. Toutefois les compagnies d'assurances devront
    être agréées par une Haute Autorité. 
    4) La Caisse de sécurité sociale actuelle devient une compagnie d'assurance comme les
    autres (N. B. : je propose qu'on en fasse cadeau aux syndicats ouvriers). 
    5) Les salaires sont augmentés de façon à ce que chacun puisse souscrire aux assurances
    ci-dessus sans diminution de ses revenus. 
    6) Un poste "Assurances" est inclus dans le calcul du SMIC. 
    7) - Il n'y a plus à distinguer salaire "brut" et salaire "net" Il
    n'y a plus qu'un seul salaire: le salaire "vrai" (en finir avec l'hypocrisie). 
    8) Quant aux cotisations pour le budget des allocations familiales, qui sont un véritable
    impôt, elles sont supprimées et réintégrées dans la fiscalité générale. 
    9) Sont supprimés également : Médecine du travail, qui sera comprise dans l'assurance
    santé, Accidents du travail, qui sera réintégré dans la même rubrique, Aide au
    logement, qui rejoindra les prestations familiales, Aide à la formation, qui sera prise
    en charge par l'Éducation nationale, Assurance veuvage, qui sera incluse dans l'assurance
    retraite, etc. (en finir avec les augmentations de charges déguisées).  
    Arguments contre  
    On me dit : 
    - Tout le monde ne paiera pas. Il y aura des négligents et des fraudeurs. Je réponds :
    chaque citoyen devra avoir une carte d'assurance et pouvoir prouver à tout moment qu'il
    est à jour dans ses cotisations. 
    - Certains "illettrés" ne sauront pas comment s'y prendre. Je réponds : je ne
    connais pas d'"illettrés" qui ne sachent pas se débrouiller pour toucher leurs
    prestations. Si toutefois, il en existe, ils pourront se renseigner auprès des
    assistantes sociales, des syndicats ouvriers ou des compagnies d'assurances. 
    - Les compagnies d'assurance auront du mal à gérer les cotisations individuelles. Je
    réponds : elles gèrent déjà individuellement les prestations, elles pourront aussi
    bien gérer les cotisations, surtout à l'ère de l'ordinateur.  
    Qu'en pensent les salariés ?  
    Je vais vous surprendre : ne croyez pas que les salariés soient obligatoirement
    adversaires de mes propositions. J'en connais un bon nombre qui les approuvent. Ils savent
    en effet qu'auprès des compagnies privées, ils seront mieux assurés pour un prix
    moindre. 
    Je puis même vous rapporter l'anecdote suivante : j'étais alors président du Groupement
    des employeurs du Syndicat général des vignerons et, comme tel, invité à une journée
    "portes ouvertes" du lycée agricole de Sommevesle. C'était je crois en 1972.
    J'y rencontrai, entre autres, le responsable national agricole d'un des trois grands
    syndicats ouvriers, entouré de ses délégués régionaux. Je lui exposai mes idées,
    convaincu que je passerais pour un Don Quichotte 
 Or quelle fut la réponse de ce
    grand personnage ?  "Monsieur Paillard, vous avez raison, mais vous êtes
    dix ans en avance." Authentique !  
    Conclusion  
    En 1987, je suis toujours en avance. Mais je n'aime pas parler pour le plaisir de
    parler. J'aimerais que mes paroles soient suivies d'actes. Faites moi part de vos
    opinions. Si je reçois un certain soutien de votre part, je prends l'engagement d'en
    référer à notre dévoué Président et ami M. Séverin, ainsi qu'à la presse et aux
    pouvoirs publics.  
    Rémy Paillard  
    P. S. : Autre résultat - considérable ! - du système que je propose : c'est la
    disparition automatique du travail noir.  
    Cet article a été publié dans La Champagne viticole de décembre
    1987  
     
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