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	 Claude Reichman Chapitre 8 Vertige Un malheur n’arrive jamais seul. La conférence de presse du 8 janvier 
	2008 n’a pas fini de produire ses effets désastreux que la commission Attali 
	rend public son rapport. M. Sarkozy a chargé l’ancien « sherpa » du 
	président Mitterrand de présider un groupe de travail avec pour mission de 
	proposer des mesures « pour la libération de la croissance française ». 
	Riche idée ! Il faut vraiment n’avoir aucune connaissance de l’art de 
	gouverner pour être allé chercher un tel personnage et lui conférer une 
	telle importance. Car il ne s’agit pas d’une simple commission, comme il en 
	existe des dizaines, sans compter les « hautes autorités », les « hauts 
	comités » et les « hauts conseils ». Il y a tellement de hauteur et de 
	prétention dans tous ces machins qu’on finirait par penser du bien du « 
	sous-commandant Marcos », en raison de la modestie de son titre. Bref, 
	Attali.  Alors quand Attali rend son rapport au président, le 23 janvier 2008, c’est presque une parole d’évangile qui tombe du ciel sur la nation rassemblée. Attali s’est tellement pris au sérieux, que les propositions de sa commission sont baptisées « décisions », comme si elles avaient force de loi. Que voulez-vous, ce n’est pas de sa faute, au pauvre homme : le président s’était engagé à appliquer ses propositions, du coup elles acquéraient valeur exécutive et méritaient bien le nom de « décisions ». ! Le problème, c’est que le bon peuple, dûment informé par les médias, sait parfaitement l’importance que Sarkozy est censé attacher aux « décisions » de la commission Attali. Du coup, chacune d’elles apparaît aux yeux des citoyens comme un élément du programme gouvernemental qui n’attend plus que sa promulgation. Le rapport Attali est un « fout tout », comme on dit en Afrique, 
	d’inspiration plutôt libérale mais fortement mâtiné d’étatisme et de 
	constructivisme, et qui n’apporte rien de neuf par rapport aux dizaines 
	d’autres rapports ou livres blancs qui l’ont précédé. Il réclame évidemment, 
	comme tout le monde, une réduction des dépenses publiques, mais prend 
	position pour une TVA sociale au lieu de préconiser l’application effective 
	des directives européennes - et des lois françaises – qui ont supprimé le 
	monopole de la sécurité sociale. Le résultat d’une telle recommandation ne 
	peut être que la hausse des dépenses publiques et des prélèvements 
	obligatoires, surtout quand on sait que les dépenses sociales pèsent deux 
	fois plus lourd que celles de l’Etat et que ce n’est pas sur ces dernières 
	qu’on peut obtenir rapidement des résultats.  Ce sont les taxis parisiens qui vont sonner le tocsin. Leur statut date 
	de 1937 et ne correspond plus aux nécessités d’une capitale internationale. 
	Mais la licence qu’ils doivent acheter à prix d’or est en général leur seul 
	bien et sa revente leur seul viatique au moment de la retraite. C’est dire 
	qu’ils n’ont pas la moindre intention de se laisser faire. La solution, face 
	à un tel problème, est évidemment d’indemniser les détenteurs de licence si 
	on veut la supprimer ou la diluer en délivrant des autorisations 
	supplémentaires. Mais pour cela, il faut un Etat moins impécunieux que le 
	nôtre. Les taxis ont donc parfaitement compris que les princes qui nous 
	gouvernent sont résolus à les spolier. C’est aussitôt la mobilisation. A 
	Paris, mais aussi en province, ils forment des cortèges avec leurs 
	automobiles et bloquent sans aucune difficulté la circulation, paralysant 
	toutes les grandes villes de France.  Dès ce moment, la crédibilité de Sarkozy est en loques. N’importe quel 
	chef d’Etat digne de ce nom, c’est-à-dire compétent, sait que, dans un 
	mandat, c’est le premier affrontement qui compte et qu’il faut s’y préparer 
	avec lucidité, sérieux et détermination. Margaret Thatcher avait ainsi 
	décidé de ne pas céder devant les mineurs d’Arthur Scargill, dont elle 
	savait pertinemment qu’ils se dresseraient sur sa route, et avait constitué 
	des réserves de charbon avant l’affrontement, et Ronald Reagan n’avait rien 
	cédé aux contrôleurs de la navigation aérienne en grève dure, les licenciant 
	et les remplaçant par des contrôleurs militaires. Thatcher et Reagan avaient 
	résisté et vaincu, ils pouvaient désormais gouverner.  Il ne faut pas chercher plus loin les causes de la vertigineuse chute de 
	Nicolas Sarkozy dans les sondages. Le contraste était trop saisissant entre 
	les promesses du candidat et les actes du président pour qu’une 
	cristallisation dramatiquement négative ne s’opérât pas au détriment de ce 
	dernier. D’autant que les promesses et les actes n’étaient séparés que de 
	quelques mois, huit exactement entre l’élection et la conférence de presse 
	du 8 janvier, et que personne en France n’avait oublié les premières si peu 
	de temps après qu’elles avaient été faites. Sarkozy apparaît alors aux yeux 
	de l’opinion comme un hâbleur impénitent - ce qui était son image avant 2002 
	– et son élection comme une imposture, ainsi que l’indique alors, dans son 
	commentaire, le directeur d’un institut de sondages.  D’autant que Nicolas Sarkozy, au lieu de se mettre à l’abri, pousse les 
	feux dans toutes les directions, répondant à la critique par une 
	surexposition permanente. Là encore, il faut invoquer son incompétence. 
	Certains mettent en cause son tempérament dans cette spirale de l’échec, et 
	ils ont sûrement raison. Mais un chef d’Etat ne doit-il pas être, par 
	excellence, celui qui sait maîtriser sa nature et ses sentiments au bénéfice 
	de son action publique, quoi qu’il puisse lui en coûter ? Sarkozy non 
	seulement n’y parvient pas, mais il refuse, au moins pour le moment, de s’y 
	essayer.  Le but de sa vie atteint, il ne sait plus que faire de sa présidence. Alors, face au vertige qui l’envahit, il se lance à corps perdu dans un tourbillon de déplacements, de déclarations et d’initiatives non préparées qui, rapidement, donne le tournis à la presse et à l’opinion publique. Aussi invraisemblable que cela puisse paraître, Nicolas Sarkozy ne s’est jamais posé cette question : « Quand je serai président, quelle politique mènerai-je face aux graves problèmes de la France ? » Une fois de plus on est dans l’obligation de parler à son sujet d’inconscience et surtout d’incompétence. Car enfin un inconscient est vite ramené aux réalités dès que celles-ci lui sautent au visage. S’il est normalement compétent, il ira chercher dans le tréfonds de son intelligence, de sa formation, de son expérience les moyens de faire face aux circonstances. Dans sa besace intime, Sarkozy n’a rien trouvé de tel, sauf de vieux trucs d’éternel candidat qui ne feront illusion que l’espace de quelques instants, trente-quatre semaines exactement. Or les élections municipales approchent. Avant sa chute dans les 
	sondages, Sarkozy avait décidé de s’y investir, afin de consolider sa 
	victoire et celle de son camp au printemps précédent. Très vite, 
	l’effondrement de sa cote de popularité va l’en dissuader. Ne l’eût-il pas 
	été d’ailleurs que les candidats de l’UMP s’en seraient chargés. C’est à qui 
	évitera le plus de se réclamer de lui. En neuf mois, Sarkozy a perdu tout 
	son crédit auprès de ses soutiens les plus proches : les députés qu’il a 
	fait élire en juin 2007. Et ceux-ci se sont donnés un nouveau demi-dieu, le 
	Premier ministre, François Fillon. La raison de cette pulsion ne tient pas 
	qu’à la relative popularité de celui-ci et à ses bons sondages d’opinion.
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