Bilan 2008  
	 
	Que reste-t-il de cette année 2008 dans nos mémoires ? Qu’en 
	restera-t-il dans les livres d’histoire ? L’élection de Barack Obama, à coup 
	sûr. Curieux phénomène Obama. L’homme est beau, et c’est cela qui d’abord 
	saute aux yeux, fin, élégant, racé. Il émane aussi de lui une douceur 
	inhabituelle dans la politique, une grande tranquillité aussi, de 
	l’intelligence, c’est évident. L’ensemble séduit, séduit même à un point que 
	l’on pourrait presque en rire. 
	 
	Que les peuples sont crédules ! Barack Obama pourrait devenir synonyme de 
	perfection, d’idéal, et de tout ce qui nourrit le rêve des hommes. Et 
	pourtant non. Il doit y avoir dans l’histoire de Barack Obama des plaies et 
	des bosses, du relief et des accidents, des tromperies et des combines. 
	Imaginez donc qu’il a fait toute sa carrière politique à Chicago, dans 
	l’Illinois, où il semblerait, à lire certains papiers - personnellement, 
	Chicago, connais pas - que l’appareil démocrate qui contrôle la ville depuis 
	soixante ans est plus vermoulu que le toit d’une vieille bâtisse abandonnée. 
	 
	Malgré tout, ce qui reste du personnage apparaît exceptionnel. La presse 
	américaine, cette presse vénérée, a-t-elle fait son travail ? A-t-elle 
	cherché pour lui comme elle a cherché pour d’autres ? Si oui, alors, il faut 
	s’incliner, Barack est parfait. Sinon, alors il faut s’interroger. Par quels 
	mécanismes de la pensée une collectivité construit-elle un mythe ? Comment 
	répond-elle à ce besoin spontané de croire, que n’effacent pas de longues 
	décennies d’éducation populaire ? 
 Une autre remarque à ce propos. Nous sommes en France, en Europe, et 
	pas aux Etats-Unis. Il est toujours difficile de se faire une idée exacte 
	d’un individu, d’un parcours, d’une proposition quand on ne partage pas la 
	vie quotidienne des femmes et des hommes à qui s’adresse le leader. Eux ont 
	en partage une culture, des connaissances, une existence, que nous regardons 
	de l’extérieur. Par exemple, les Américains, quand ils le connaissent, 
	s’imaginent peut-être que Nicolas Sarkozy, président de la République 
	française, est une boule d’énergie et de décision, toujours en mouvement et 
	perpétuellement à sa tâche. Nous savons nous, parce que nous partageons sa 
	vie publique, que parfois l’action est brouillonne, le verbe lassant et 
	l’exposition du « moi » et du « surmoi » fatigante.  
  
	Barack Obama, 2008. En fait, on s’en de moque de 2008. Ce qui compte, 
	c’est quand il sera président, donc 2009 et à suivre. Nous avons déjà 
	quelques indices qui peuvent nous permettre de juger autrement l’homme que 
	comme un individu de carte postale. 
	Deux éléments. D’une part, l’équipe qu’il constitue. Cet homme qui voulait 
	tout changer, et qui peut-être changera tout, s’entoure de toutes les 
	vieilles barbes du clintonisme. C’est un peu comme si chez nous, Nicolas 
	Sarkozy, qui avait promis la rupture, avait nommé, devenu président, un 
	vieux chiraquien des années soixante-dix à Matignon ou une ancienne 
	présidente du RPR à l’Intérieur. 
	 
	En tout cas, le retour des boys and girls de Bill Clinton est 
	impressionnant, à tous les niveaux de la nouvelle administration américaine. 
	Ce constat a quelque chose de décevant. Clinton, au sens strict, c’était 
	l’autre siècle. Clinton, au sens factuel, c’est le début de la constitution 
	du mensonge économique américain, argent pas cher, bulles spéculatives 
	multiples, qui ont toutes éclaté quand le prix des matières premières a 
	décuplé, éclatement qui secoue aujourd’hui la planète entière et menace de 
	la faire dérailler. Pas d’équivoque : la suite, avec George Bush, a rajouté 
	la médiocrité à l’égoïsme américain. 
	 
	Depuis le début de la crise, et même s’il n’est pas en fonction, Barack 
	Obama a suggéré quelques-unes des solutions qu’il pourrait mettre en oeuvre 
	pour tenter de juguler les catastrophes qui s’annoncent. Pour ce que l’on a 
	perçu de ce côté- ci de l’Atlantique, les réponses paraissent bien 
	conventionnelles. Des milliards de milliards de dollars sont avancés, alors 
	même que le pouvoir américain pas plus que les autres n’en possède le 
	premier centime. Ce classicisme des réponses ne doit pas être reproché au 
	nouvel élu des Etats-Unis. Il est juste mentionné ici pour signifier une 
	fois encore, mais nous sommes indécrottable, que la politique n’est pas 
	miraculeuse, et donc qu’il n’existe pas de faiseur de miracles. Assez 
	souvent, d’ailleurs, Barack Obama le dit. Nous ne percevons pas ou mal les 
	nuances de son discours, mais plusieurs fois, il a indiqué que le chemin 
	serait long, difficile, douloureux. C’est bien là qu’est sa séduction 
	principale. C’est homme a l’air sincère, honnête. Ce sentiment est tellement 
	rare sur la scène politique que nous ne nous demandons même plus s’il est 
	normal, voire même admissible, qu’il soit si rare. 
	 
	La crise économique marque donc de son empreinte la fin de 2008. Elle 
	plombera à coup sûr, 2009. Cette crise ne ressemble à rien de ce que nous 
	avons connu auparavant. Comme souvent d’ailleurs nous nous en racontons mal 
	les origines. Nos penchants culturels, voire nos travers, désignent les 
	financiers comme principaux coupables. Ils n’en ont pourtant été que les 
	accélérateurs, les amplificateurs. Le vrai déclencheur fut économique et non 
	financier. C’est l’augmentation faramineuse de toutes les matières premières 
	qui a commencé à déréguler l’artificielle croissance de l’économie, et c’est 
	là-dessus que se sont greffées les conséquences des endettements faramineux 
	des ménages. La mécanique dès lors s’est grippée. Peu à peu, ce sont tous 
	les agents économiques, dans tous les secteurs, et dans tous les pays de la 
	planète qui ont procédé à des arbitrages similaires : réduction des 
	dépenses, révision à la baisse des investissements. Chaque marché se trouve 
	ainsi en phase de réduction et, maillon après maillon, chaque intervenant, 
	sur chaque marché, produit moins d’activité, et donc moins de richesse. 
	 
	Une image, peut-être, permet de comprendre la nature de la crise économique 
	que nous vivons. Figurons-nous l’économie mondiale comme un immense train 
	qui perd progressivement de sa vitesse et qui, inéluctablement, va 
	s’arrêter. Ce train perd progressivement de son énergie, il n’a plus de 
	combustion, et bientôt, ses passagers - six milliards d’être humains quand 
	même - se trouveront à l’arrêt, hébétés, un peu perdus dans la très vaste 
	plaine où le train vient de s’arrêter. A l’intérieur 
	du mécanisme de ce train gigantesque, les pièces qui assuraient le mouvement 
	sont pliées, froissées.  
	 
	Quelques-uns d’entre vous ont-ils lu, cette semaine, dans la presse 
	économique, ce papier à la fois technique et théorique qui révélait que sur 
	le seul plan des normes comptables, la FED, la banque fédérale américaine, 
	devrait être déclarée en faillite ? Les raisons de cette situation sont 
	assez simples à résumer. Depuis six mois, la FED a inondé le marché 
	américain de dollars qu’elle a fabriqués. En contre partie, elle a stocké 
	des valeurs que la tempête boursière a considérablement dépréciées. 
	Aujourd’hui, les actifs de la FED sont d’un niveau tel que la banque 
	centrale pourrait être techniquement déclarée en faillite. 
	 
	Dans la vraie vie, cela n’arrivera pas. Ce constat toutefois nous renseigne 
	sur ce que nous pourrons vivre. Les institutions financières, privées, 
	publiques, risquent d’agoniser sous l’effet d'apesanteur que provoquera 
	l’arrêt du train de l’économie. La ruine pourrait bien être de même nature 
	que la crise, mondiale ou mondialisée. Et ce sera le seul moyen de repartir. 
	Une économie ruinée, ce sont aussi des prêteurs ruinés. Nous avons connu 
	cela à d’autres moments de l’histoire des hommes. Les Etats endettés 
	reblanchiront leurs livres de compte. Ce sera un nouveau départ. Le grand 
	pari historique, ce sera peut-être de gérer cette transition sans que 
	s’intercalent la guerre, les conflits et les violences. Cela, les hommes 
	n’ont jamais su le faire. Le saurons-nous, si pleins que nous sommes de la 
	sagesse de l’expérience, mais hélas si vite oublieux de ceux que nos aînés 
	ont connus?  
  
	2008 aura aussi été l’année du naufrage du socialisme. Ceci est relatif 
	et circonscrit à notre bonne vieille France. Il ne s’agit pas là d’un 
	événement mondial mais d’une péripétie franco-française. Lancés dans une 
	interminable procédure de congrès, les socialistes français, derniers des 
	Mohicans d’une mohicanerie qui n’est plus planétaire depuis longtemps, ont 
	été incapables de dire en quoi, comment, pourquoi, ils étaient socialistes. 
	Ceci se définit-il par rapport à la propriété des moyens de production ? Ou 
	bien dans la répartition des richesses produites ? Ou bien grâce à un autre 
	critère dont seuls quelques initiés ont connaissance ? 
	 
	Le socialisme aujourd’hui ne peut être défini par la seule volonté de 
	justice sociale, car personne n’est pour l’injustice. Par la seule 
	générosité, car personne n’est pingre. Par l’amour des ouvriers, parce que 
	tous le monde les aime. Pour dire les choses plus sérieusement, le 
	socialisme ne peut pas être présenté comme un sentimentalisme, car la 
	politique n’est pas affaire de sentiments, mais de réalités, de technicités, 
	de combinaisons d’intérêts divers et contradictoires. Le socialisme, s’il 
	existait, devrait être une forme de science humaine. Or, les scientifiques 
	qui se sont retrouvés à Reims au mois de novembre se sont enivrés de leur 
	propre fumée et n’ont à cette heure rien produit de tangible qui justifie 
	leur appellation maintenue de socialistes. 
	 
	Et le sarkozysme, que fut-il en 2008 ? Une succession d’agitations et de 
	réformes périphériques. Une impasse sur les problèmes structurels de la 
	société française. Une énergie euphorisante dans la gestion des affaires 
	européennes, avec ce bémol que cette année fut aussi celle de la fracture 
	avec notre partenaire historique, qui fut avant cela notre ennemi 
	héréditaire, l’Allemagne, que nous devrions mieux aimer et davantage 
	respecter. 
	 
	2008 fut une année politique dure. L’histoire des hommes est ainsi faite, de 
	drames et de pleurs, qu’elle nous paraîtra peut-être douce en regard des 
	deux ou trois millésimes à venir.  
	Jean-Michel Aphatie 
	 
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